Situé sur le canton du Vaud en Suisse, le futur hôpital de Rennaz, devisé à 240 millions de francs (206M€) , se situe sur une parcelle de 86'000 m2. La surface totale de plancher s'étale sur 67'000 m2. Le bâtiment de quatre niveaux mesure 215 mètres de long, 115 de large et il atteint une hauteur de 17,6 mètres. La réalisation de l'ossature de l'édifice a nécessité 50'000 m3 de béton et 6'000 tonnes d'acier.

Le nouveau Centre Hospitalier de Rennaz - Chiffres clés


Pour un bâtiment de cette ampleur, le BIM aurait été totalement prescrit mais à l'époque du lancement du projet en 2011, nous en étions à l'embryon du BIM en Europe Occidentale, ce qui fait que contractuellement le BIM n'avait pas été inclus et que la réalisation suit un contrat « traditionnel » d'Entreprise Générale.

L'implémentation du BIM dans ce projet vient donc de la volonté de la Direction Générale de l'HRC d'optimiser la gestion et la maintenance du nouvel hôpital en phase d'exploitation ce qui est à l'échelle de la Suisse Romande une innovation dans le milieu hospitalier.


Pourquoi le BIM dans les projets hospitaliers

L'apport du BIM dans ce genre de projet est important de par la multitude des utilisations possibles d'une base de données efficiente et des outils de modélisation/visualisation qui existent actuellement.

Cependant, les points les plus importants seraient sans aucun doute :

  • Meilleure coordination et communication entre tous les intervenants (MOA-ARCH-EG-BE) rendu possible par une base de données commune.
  • Facilitation de la documentation du projet (dessins facilité et mise à jour des plans), études et réponses plus rapides des demandes de modifications émises par la MOA au fur et à mesure de l'avancement du projet (besoins de plans spécifiques ou zoning et nomenclatures pour établir des appels d'offres d'équipements, valider des concepts d'organisation et d'aménagements des futurs locaux et services hospitaliers…)
  • Faciliter la prise de décision par une meilleure compréhension du projet et des contraintes potentielles.

Ce qui fait toute la puissance du BIM c'est le i… Les informations que la maquette contient sont la réelle plus-value à mon sens.

Être capable « d'interroger » la maquette pour par exemple savoir en « quelques clics » les caractéristiques de nature, de consommation, de volumétrie, de garantie d'un élément. Par exemple, savoir si il est inclus dans tel réseaux plus global, est situé dans tel endroit du bâtiment et interagit avec tels autres éléments est une plus-value qui se suffit déjà à elle-même.

Différentes vues d’une chambre patient

Les étapes d'implémentation du BIM et les contraintes

La contrainte principale du projet réside dans le fait que le contrat d'entreprise générale n'inclut pas, ni ne fait mention du BIM comme évoqué plus haut.

Il est donc difficile de récupérer des données facilement exploitables pour produire la maquette qui servira à la maintenance de l'hôpital une fois opérationnel, notamment de par l'hétérogénéité des supports de documentations (fichiers DWG, PDF, Excel…) et le nombre d'intervenants.

L'autre contrainte est d'avancer en parallèle de l'exécution du chantier. En effet dans un contexte de construction de cette ampleur l'exécution est soumise à nombreuse modifications et nous devons en tenir compte.

Le manque de documents de références, de « maturité » BIM des différents acteurs du secteur et le coût de l'investissement peut aussi souvent freiner la mise en place du BIM.

Pour rapidement esquisser les différentes étapes de l'implémentation du BIM dans notre projet :

  1. définir les attentes de l'HRC en matière d'optimisation de l'exploitation et en ressortir des objectifs BIM précis.
  2. réaliser une étude de faisabilité du projet
  3. rédiger la convention BIM HRC
  4. produire des maquettes tests pour évaluer le potentiel
  5. récupérer les données pour modéliser les maquettes BIM pour l'exploitation
  6. modéliser
  7. lier les solutions GMAO (Gestion et Maintenance Assistée par Ordinateur) et GTB (Gestion Technique du Bâtiment) avec la maquette d'exploitation (selon les attentes de HRC évoqués en 1)
  8. tester les solutions
  9. déployer pour l'opérationnel

Le protocole ou Convention BIM

Le protocole étant le document juridique et contractuel du BIM (selon la définition la plus courante car il n'y a encore pas de lexique normé), il n'a pas été fait dans ce projet car comme je l'ai évoqué le BIM n'était pas inclus lors du lancement de la construction.

Ceci dit, pour assurer une coordination et une structuration conforme aux processus BIM pour le projet, nous avons rédigé un document de référence que nous avons développé lors de la phase 3 et que l'on a appelé la Convention BIM HRC.

Cette convention BIM HRC, qui a été rédigée avec Thierry Relave (Manager du pôle BIM chez Mensch und Maschines Suisse SA), regroupe à la fois la Convention management qui traite de l'organisation et de la structuration du projet (règles, rôles et responsabilités, codification/classifications, éléments de nommage, processus d'échanges…) mais aussi la charte BIM contenant toutes les spécifications techniques (formats d'échanges, coordonnées projets, niveaux de développements, LOD/LOI, logiciels…).

Ce document de référence doit être évolutif tout au long du projet et doit être suivi par tous les intervenants qui produiront ou utiliseront les maquettes BIM.


Outils & technologies

Comme évoqué précédemment, la maîtrise d'ouvrage est seule initiatrice de l'implémentation du BIM et a décidé de rester dans un « close BIM » sur le projet de l'hôpital de Rennaz.

Il a malgré tout été nécessaire d'investir dans des licences Revit, des licences collaboratives, des ordinateurs performant dédiés au BIM.

Il nous a aussi fallu pour notre projet « VR / formation », investir dans des ordinateurs portables et des lunettes de réalité virtuelle.

Il nous reste encore à réfléchir à la solution du viewer qui interrogera la maquette d'exploitation pour en tirer les données nécessaires, ce choix devra se faire en lien avec la GMAO (Asset+ de GE) et la GTB (Desigo CC de Siemens).
Maquette Numérique Revit (c)

Niveaux BIM, OpenBIM et échanges IFC

Nous avons déployé différents niveaux en fonction des besoins des maquettes et de leurs utilisations.

Concernant la maquette architecturale et la maquette « projet » (maquette commune) nous avons décidé avec le bureau ABA Partenaires à Lausanne qui produit ces maquettes, de tester une solution de niveau 3 en mettant cette maquette sur Serveur Cloud (Collaboration for Revit + BIM 360) pour permettre à la maîtrise d'ouvrage et au bureau d'architecture de travailler simultanément sur une maquette synchronisée, ce qui représente un défi supplémentaire mais aussi une montée en compétence par l'expérimentation.

Nous avons d'ailleurs également fait ce choix concernant la maquette « VR / formation » afin que nous puissions travailler en coordination avec notre prestataire qui produit la maquette.

Pour la maquette CVSE en revanche, aux vues de la complexité du bâtiment, nous avons décidé de rester sur un niveau 2 pour développer cette maquette tout corps de métier chez notre prestataire puis l'intégrer une fois terminée dans la maquette globale d'exploitation.

Ces maquettes sont produites par Mensch und Maschines de Paudex (VD).

Je dois préciser que malgré tout l'intérêt que l'on a pu porter aux échanges IFC (Industry Foundation Classes) et les progrès apportés par la version 4, la maîtrise d'ouvrage a préférée développer ce premier projet en close BIM car tous les prestataires travail sur le même logiciel (Revit) ce qui malgré tout facilite les échanges.

Une solution d'échanges au format IFC sera retenue pour le deuxième projet BIM de l'HRC (qui concernera les antennes de l'hôpital de Rennaz qui seront rénovées une fois celui-ci ouvert) car le bureau d'architecture lauréat travaille sur ArchiCAD.

Une chose très importante aussi a été de définir les niveaux de développement de la maquette d'exploitation. Nous nous sommes aperçu qu'il était difficile et parfois inutile d'avoir un niveau de détail graphique très élevée sur une maquette d'exploitation ainsi que les données de construction qui viennent considérablement alourdir la maquette sans avoir une réelle plus-value sur l'exploitation.

Nous avons donc décidé de nous orienter plutôt vers le système anglo-saxon des LOD/ LOI qui implique que le niveau de détail graphique n'est pas forcément homogène avec le niveau d'information que contient l'élément.

Ceci nous permet en exploitation d'avoir une maquette plus facilement visionnable tout en conservant les informations importantes pour la maintenance du bâtiment.


La maquette numérique « projet »

Ce que nous appelons la maquette « projet » est en fait la maquette architecturale du bâtiment dans laquelle nous avons implémenté toutes les données nécessaires à la conception, l'aménagement et l'organisation des futurs services de l'hôpital.

En effet il nous paraissait important de pouvoir visualiser les besoins en mobilier et équipements émis par le personnel soignant sous forme de plans d'aménagement simples et liée avec notre base de données pour le Move Management des affectations et ainsi contrôler plus facilement la justesse de l'aménagement. Lorsque nous avons près de 20'000 éléments à implémenter pour l'aménagement le fichier Excel peut devenir difficile à appréhender pour faire ces vérifications.

Ceci nous permet de produire des zonings par thème, des quantitatifs d'éléments et des calculs de surfaces pour alimenter les appels d'offres, des plans d'aménagement, des analyses de modification de locaux d'une façon plus rapide que par utilisation des outils traditionnels.

L'idée est donc d'utiliser au maximum les possibilités qu'offrent les outils BIM pour faciliter la vie de nos chefs de projets qui travaillent quotidiennement à la mise en place de l'organisation et de l'aménagement du futur hôpital.

Exemple de zoning projet

La maquette numérique en phases Exploitation et Gestion

La phase d'exploitation d'un bâtiment représentant 80 à 85 % du coût global, il nous paraissait important d'intégrer les processus BIM dans cette phase du cycle de vie afin de chercher à diminuer ce coup et optimiser l'efficience de la gestion et de l'entretien du futur hôpital que nous construisons.

Dans ce but, nous avons fixé certains objectifs en lien direct avec les attentes de l'HRC comme :

- La géolocalisation des éléments techniques en lien avec la GTB et des Assets du bâtiment en lien avec la GMAO. (Visualisation 3d dans son contexte géographique et prise d'informations)

- La gestion des espaces, des personnes, l'extraction de données, de plans, de quantitatif afin de développer la maintenance prédictive et préventive plutôt que curative.

- Aider à l'étude et la planification des modifications qui auront lieu tout au long de la vie du bâtiment et ce sur plusieurs "dimensions" 4D (planification), 5D (financier), 6D (développement durable/énergie) ...

- Maintenir à jour une connaissance précise de l'état du bâtiment (DOE+ suivi de l'ouvrage et de ses modifications=" carnet de santé du bâtiment".

GMAO, GTB et GTC

La GMAO et la GTB sont à la base de la prise d'informations sur la maquette pour les utilisateurs.

Elles sont les portes d'entrées de la base de données et le lien est donc essentiel avec la maquette d'exploitation pour une efficience optimale du BIM en phase d'exploitation.

Nous devons donc travailler en étroite collaboration avec les développeurs de nos solutions GMAO et GTB afin de permettre à notre service technique d'avoir au quotidien un outil, le plus simple et efficace possible, pour que leurs préoccupations premières restent le terrain et que l'outil logiciel soit un « atout gain de temps » mais en aucun cas une contrainte technique.

Par exemple nous avons imaginé que l'utilisateur du logiciel métier puisse, sur la fiche d'intervention qu'il recevra, ou sur la fiche locale, n'avoir qu'un ou deux « clics » à faire pour ouvrir le viewer de la maquette et arriver directement sur l'élément ou le local en question afin de permettre une prise d'informations rapide.


Une maquette "serious gaming" pour la formation des collaborateurs


Ce projet a commencé lorsque j'ai été interrogé par le service formation de l'hôpital (Mmes. Julie Legault et Isabelle Picard) qui s'occupe de préparer la formation au nouveau bâtiment pour tous les collaborateurs qui travailleront ensuite dans les différents services de l'hôpital.

En effet de par le planning de la construction il était intéressant de savoir si grâce au BIM nous pouvions proposer un support de formation anticipée avant les formations sur site afin d'améliorer et d'accélérer la prise de repères des collaborateurs dans ce qui sera leurs nouveaux locaux et de ce fait essayer d'améliorer l'efficacité opérationnelle dès les premiers jours de l'ouverture.

Savoir se repérer dans le bâtiment est essentiel pour cela, c'est pourquoi nous avons proposé de créer une maquette spécialement dédiée à ce projet dans laquelle sont intégrés en priorité les matériaux les mobiliers et surtout la signalétique à l'identique de la réalité.

L'objectif est de pouvoir « immerger » les collaborateurs (dans un premier temps des super-utilisateurs testeurs puis former plus largement les collaborateurs en salle de formation) par l'utilisation du serious gaming et de la réalité virtuelle dans le futur hôpital.

Nous allons d'ailleurs participer sur l'invitation de Yacine Benmansour (HES.SO de Genève, coordinateur R&D à hepia et membre actif du réseau national de recherche Virtual Switzerland soutenu par Innosuisse (Agence suisse pour l'encouragement à l'innovation)

au lancement d'un groupe de réflexion autour de la thématique du serious gaming (jeux sérieux) dans le domaine de la réalité virtuelle, plus particulièrement pour la formation du personnel hospitalier comme prévu dans le cadre du projet de l'hôpital Riviera-Chablais.

Ce réseau comprend de nombreux membres du monde de l'industrie tels que Microsoft, ABB, Logitech, Swisscom… ainsi que des membres du monde académique tels qu'EPFL, EPFZ, HES et Uni…

Par extension, nous utiliserons aussi cette maquette pour les besoins de la communication afin de diffuser à l'ensemble de la population et donc au futur patient des vidéos de présentation de leur nouvel hôpital.

Nous sommes aussi très sensibles aux nouvelles démarches de gestion des bâtiments par l'utilisation des nouvelles technologies de réalité augmentée et mixte particulièrement pour la maintenance technique et espérons développer aussi cet aspect.

Les quelques initiatives développées actuellement sont vraiment prometteuses de par la multitude de possibilités que ces technologies offrent et nous suivrons de près ces développements.



Communiquer, Collaborer et Échanger !

Ces trois mots résument selon moi à eux seul un projet BIM réussi et il me semble essentiel qu'ils soient au cœur même du projet. Rappelons-nous que la lettre la plus importante dans l'acronyme BIM est bien le i. Les informations que renferme la maquette sont la réelle plus-value de ce processus, ce qui permet les plus significatives améliorations que ce soit lors de la conception, de la construction et encore plus de la gestion du bâtiment.

Mais ces informations sont aussi bien souvent les plus difficiles à obtenir et c'est pourquoi il est essentiel de ne pas oublier ces trois mots car c'est avec une bonne communication, une réelle volonté de collaboration et une transparence dans les échanges entre tous les intervenants du projet que le BIM peut s'exprimer pleinement.


Benoît BERTHE

Chef de Projet BIM-AMO planning Manager chez Hôpital Riviera-Chablais (HRC)

Vaud-Valais, SUISSE

Musicien professionnel et professeur de musique de formation, il décide suite à un changement de direction dans sa vie de se former au BIM. Ayant toujours aimé l'architecture, le monde de la construction et passionné par les sciences et les nouvelles technologies il commence à se former par lui-même (le BIM n'étant pas encore enseigné de façon traditionnelle à l'époque), en suivant des e-learning sur des logiciels en version d'essai et étudie toutes les sources d'informations possibles traitant du sujet (sites internet anglophones et francophones, littérature naissante, les quelques initiatives concrètes à l'étranger…).


Par la suite il effectue des formations en Suisse auprès d'organismes tels que Mensch und Maschines et obtient une certification en coordination BIM et la Certification Autodesk Professional User sur Revit Architecture. Il suit en parallèle une formation initiée par la Fédération des Hôpitaux Vaudois (FHV) en gestion de projets.

Depuis février 2016 à l'hôpital Riviera Chablais en tant que Chef de Projet BIM, il travaille à la mise en place d'un BIM de Gestion et maintenance pour la future exploitation du nouvel hôpital de Rennaz, ainsi que de ses deux antennes.

Ayant toujours la volonté de se perfectionner, d'apprendre et de partager autour du BIM, il participe et valide le « parcours avancé » du MOOC BIM proposé en janvier/février 2018 par le groupe GA et l'INSA de Toulouse.


Ressources et sites internet :

Hôpital Riviera Chablais : hopitalrivierachablais.ch
Mensch und Maschines SA : mum.ch
ABA Partenaires SA : aba-partenaires.ch
Virtual Switzerland : virtualswitzerland.org