Construire autrement : ce que le forum européen HLCF 2025 a révélé sur l’avenir du secteur
Le 25 mars 2025, HEXABIM a été convié au High Level Construction Forum, organisé par la DG GROW de la Commission Européenne. Cet événement a réuni des experts de toute l'Europe pour décortiquer les défis brûlants du BTP : flambée des coûts, effondrement des permis, pénurie de main-d'œuvre et urgence écologique. La digitalisation et la circularité se sont imposées comme des réponses incontournables.
Nous avons décortiqué pour vous les interventions-clés, afin de vous offrir une synthèse claire et pratique des grandes orientations européennes pour la construction digitale et durable.
Un secteur sous tension : défis et opportunités en Europe
Les constats de départ sont posés sans détour :
– les prix du logement ont augmenté de plus de 50 % en dix ans,
– les permis de construire sont en chute libre,
– les coûts de construction grimpent,
– les investissements stagnent,
– et la main-d'œuvre qualifiée se fait rare.
Mais tout n'est pas bloqué. Le marché intérieur reste un atout stratégique. L'export intra-européen, la rénovation énergétique, la transition verte et l'innovation sont identifiés comme des leviers tangibles. Encore faut-il s'en saisir collectivement. C'est tout l'enjeu du "Transition Pathway for Construction", feuille de route lancée par la Commission en 2023, et soutenue aujourd'hui par 83 engagements d'acteurs publics et privés.
Une stratégie en cinq leviers, portée par la Commission
Barbara Bonvissuto, directrice à la DG GROW, a résumé la vision européenne en cinq priorités :
- des matériaux plus circulaires,
- un marché intérieur plus fluide (normes, standards, marchés publics),
- des permis plus rapides et simplifiés,
- des financements mieux mobilisés (publics et privés),
- une circulation plus souple des services et des professionnels.
Le tout avec une priorité transversale : la digitalisation.
Permis numériques : l'Estonie montre la voie
L'exemple estonien, présenté par Christopher-Robin Raitviir (Ville de Tallinn), est un cas d'école. Depuis 2016, les 79 municipalités du pays utilisent une plateforme unique pour gérer les permis. La dernière version a permis de diviser les délais de traitement par deux. À Tallinn, on est passé de 100 à 46 jours.
Au cœur du dispositif : l'intégration du BIM en open format (IFC), avec 47 règles automatisées pour vérifier la conformité des projets (sécurité incendie, accessibilité, urbanisme...). L'administration n'a pas besoin de devenir experte BIM : l'outil est conçu pour être utilisable avec une interface simple.
Avec une mise en garde utile : digitaliser des procédures inefficaces reste une erreur. "Si on digitalise le chaos, on obtient un chaos numérique."
BIM et interopérabilité : des outils, oui, mais pour tous
Le BIM est presque partout dans les discussions. Encore faut-il le rendre accessible. Philip Crampton (FIEC) a insisté sur la nécessité d'outils adaptés aux TPE-PME, qui constituent l'essentiel du tissu du secteur. 92 % des agences d'architecture en Europe comptent moins de 4 salariés.
La question n'est donc pas de savoir si le BIM est utile, mais comment éviter qu'il n'aggrave les inégalités d'accès aux marchés. Cela suppose de former, de simplifier, et de partager les bonnes pratiques.
Du côté de la Commission, plusieurs projets européens en cours (via Horizon Europe) explorent la digitalisation des permis, les carnets numériques de bâtiment (logbooks), et les standards associés. Les résultats sont attendus d'ici fin 2025.
Une vision commune : le manifeste 2025 de l'Alliance Construction 2050
Présenté lors du forum, ce manifeste adressé aux institutions européennes fixe cinq grandes priorités pour le secteur :
- durabilité et neutralité carbone,
- circularité,
- digitalisation et innovation,
- compétences et emploi de qualité,
- compétitivité et accessibilité.
Un texte court, mais clair. Pour Clive Pinnington (EPF), cette vision doit être partagée largement. Et portée collectivement, à l'image du sommet d'Anvers organisé par les industries à forte intensité énergétique. Objectif : un paquet d'actions concrètes, pas seulement des constats.
Circularité : l'approche française
La France a engagé deux outils pour structurer le réemploi des matériaux dans la construction :
- Le diagnostic PEMD (Produits, Équipements, Matériaux, Déchets), obligatoire avant travaux pour tout bâtiment de plus de 1000 m². Il permet d'identifier ce qui peut être réutilisé ou recyclé.
- La REP Bâtiment, qui impose aux fabricants une éco-contribution servant à financer la collecte et le traitement des déchets triés.
La plateforme du CSTB permet de centraliser les données issues de ces diagnostics, avec un objectif de traçabilité et de mise en réseau des flux.
Message clé d'Anaïs Terbeche : mieux vaut avancer par étapes. "Commencer par les flux les plus importants – béton, plâtre, bois – avant d'élargir à l'ensemble des matériaux. Un système trop ambitieux dès le départ peut vite se bloquer."
Formation : la clef de voûte de la transition
La transition numérique et écologique repose sur des compétences qu'on ne trouve pas partout. D'où le lancement du Pact for Skills par la Commission, complété par des projets Blueprint et des centres d'excellence ERASMUS+ axés sur la construction durable.
Mais au-delà des dispositifs européens, c'est la question de l'attractivité du secteur qui revient : comment donner envie à une nouvelle génération de s'y engager ? Et comment faire en sorte que les outils numériques soient réellement appropriés ?
Une opportunité à saisir : reconstruire, tester, unifier
La reconstruction future de l'Ukraine a été évoquée comme un possible terrain d'application grandeur nature. Standards ouverts, interopérabilité, modèles contractuels numériques : les intervenants y voient l'occasion de mettre en pratique une Europe de la construction plus agile, plus durable, plus alignée.
Cela suppose aussi une révision des directives sur la commande publique. Un chantier à venir qui pourrait favoriser des critères de qualité, de durabilité et d'innovation – et non plus le seul critère du prix.
La stratégie européenne est posée, structurée, et les priorités sont les bonnes. Mais dans les faits, la communauté professionnelle voit surtout un écart persistant entre les discours et la réalité de terrain. Digitalisation, circularité, compétences : les leviers sont connus, mais leur mise en œuvre reste inégale, parfois trop complexe, souvent peu adaptée aux structures de taille modeste.
Ce forum confirme une dynamique utile, mais aussi un besoin urgent de traductions concrètes, partagées, et réellement actionnables pour celles et ceux qui construisent au quotidien.