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Numérisation d'un héritage : la polyvalence du BIM dans la restauration de la bibliothèque du Palais-Bourbon

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Découvrez les coulisses de la restauration de la bibliothèque du Palais-Bourbon à travers les yeux de Pauline Martin-Lalande, Cheffe de projet BIM à l'Assemblée nationale. Dans une série de dix questions, elle partage les défis et les triomphes de l'intégration du BIM dans un cadre historiquement riche. Explorez comment le scan 3D haute densité et la modélisation BIM en LOD 300 se conjuguent pour relever les défis structurels et esthétiques d'un monument historique. Découvrez des insights techniques sur la gestion de l'humidité, l'éclairage spécialisé, et le respect des normes de sécurité incendie, le tout orchestré via une plateforme de données commune pour une collaboration optimisée.


Pauline, pourriez-vous nous donner un aperçu de votre rôle en tant que cheffe de projet BIM à l'Assemblée nationale ? 

La direction des Affaires Immobilières et du Patrimoine, à laquelle j'appartiens, comprend un pôle maîtrise d'ouvrage mais aussi un pôle maîtrise d'œuvre interne, travaillant en étroite collaboration, en mode projet. Nous intervenons sur l'ensemble du cycle de vie de nos bâtiments, de l'étude de faisabilité à l'exploitation-maintenance. Je tiens donc à préciser que mon travail s'inscrit évidemment dans celui d'une équipe complète.

Mon rôle est, entre autres choses, de piloter le déploiement du BIM au sein de l'Assemblée nationale de manière transversale. À ce titre, je mets en place avec les équipes les grands jalons stratégiques de ce déploiement. J'organise la mise en œuvre d'outils collaboratifs (environnement commun de données, GMAO …) en lien avec notre direction des services informatiques. Je coordonne également les actions des modeleurs en architecture, électricité, CVC dans le cadre de nos opérations mais aussi en exploitation. Je fais en sorte de fluidifier le processus, en veillant à ce que chacun puisse travailler dans de bonnes conditions, avec les outils adéquats.

Pour entrer dans le vif du sujet, pourriez-vous nous présenter le projet de rénovation de la bibliothèque du Palais-Bourbon ? On est tous curieux de savoir ce qui se trame ! 

Livrée en 1834, la salle de lecture de la bibliothèque de la Chambre des députés a connu peu de transformations d'envergure, les architectes successifs du Palais‑Bourbon s'attachant à conserver l'édifice que Jules de Joly avait conçu et les peintures d'Eugène Delacroix, achevées en 1847.

Un large diagnostic de la bibliothèque réalisé en 2019 avait notamment rassuré sur la stabilité de sa structure qui ne présentait pas de risque à court terme, des inquiétudes demeurant néanmoins dans la durée. Il faisait d'ailleurs état de la nécessité d'une restauration complète.

Eugène Delacroix a réalisé la peinture du plafond de la bibliothèque entre 1841 et 1847. La surface peinte représente environ 400 m², pour moitié recouverte par des scènes historiées.

Au-delà des problématiques de conservation desdites peintures, quatre enjeux techniques apparaissent : la stabilité structurelle de la nef, le clos et le couvert, le chauffage et les installations électriques (dont l'éclairage). Notamment :

  • La situation thermique de la nef a fait l'objet d'une analyse approfondie. Pour répondre aux défauts constatés, le traitement d'air sera intégralement rénové avec la mise en place d'un système d'humidification afin d'apporter également un contrôle de l'humidité relative.
  • L'opération de restauration intègrera également les prestations de mise à niveau des locaux au regard de la règlementation incendie (compartimentage des locaux et désenfumage).
  • L'intégralité de l'installation électrique (tableaux électriques, câblage courants fort courants faibles, détection incendie…) sera rénovée. La mise en lumière de la nef avec la valorisation des peintures de Delacroix et des décors, est intégré au programme de restauration.

Les travaux (hors opérations de déménagement des collections) ont commencé et se dérouleront jusqu'au 31 décembre 2024.

Quand vous avez démarré sur ce projet, quelles ont été vos premières démarches pour poser les bases solides du projet de rénovation de la bibliothèque ? Pourquoi le BIM d'ailleurs ?

La première démarche a été de faire appel à un géomètre pour obtenir un nuage de points par scan 3D de tout le périmètre concerné par les travaux, avec une densité moyenne d'un point tous les 5 mm. Il a ensuite réalisé la maquette numérique architecturale de l'existant sur cette base en LOD 300. Les maquettes existant/projet des lots techniques ont été réalisées en interne.

La question du BIM ne s'est pas réellement posée. Le déploiement du processus est en cours depuis plusieurs années au sein de notre direction. Nous avons simplement constaté, de manière très pragmatique, que le processus de travail en BIM nous permettait d'être plus efficace lors de modifications de projet ou d'existant et de mieux communiquer avec nos instances dirigeantes. Il s'agit donc pour nous de choisir le meilleur outil de travail. Le patrimoine bâti numérique de l'Assemblée nationale existe depuis les années 90 sous la forme de plans géo-référencés et coupes Autocad. Sa version BIM se constitue au fur et à mesure. Nous profitons notamment de projets importants pour réaliser ou faire réaliser des maquettes de l'existant qui servent de supports au projet, puis pour récupérer des maquettes tel que construit qui continueront à vivre en exploitation.

Pour ce projet, nous avons ensuite produit le DCE en extrayant les pièces graphiques et les quantitatifs des maquettes des lots architecturaux, électricité et CVC/plomberie.

Avec un bâtiment aussi complexe que la bibliothèque du Palais-Bourbon, quelle stratégie de modélisation BIM avez-vous mise en place ? Comment vous y prenez-vous pour garantir la fidélité des détails historiques dans le modèle BIM ?

Comme je l'ai dit, la modélisation a été réalisée par un géomètre sur la base d'un nuage de points, avec une densité de points augmentée pour les zones remarquables et une acquisition des couleurs pour l'espace de la nef. Avec un LOD ponctuellement supérieur, il s'est assuré par contrôle visuel permanent de l'adéquation des points avec la géométrie modélisée.

Même si la tentation peut être grande de vouloir représenter beaucoup de détails (qui sont par ailleurs très beaux), ni le projet de restauration, ni les nécessités futures de l'exploitation-maintenance ne le justifient. Il ne s'agit pas d'alourdir inutilement des fichiers déjà conséquents.

Par ailleurs, certaines familles d'objets comme les voûtes de la nef, ont été modélisées sur des logiciels dotés d'outils permettant la modélisation de formes plus complexes que ceux disponibles sur Revit, comme 3ds Max par exemple.

Maquette archi

Parlons défis : quels obstacles avez-vous rencontrés en numérisant ces espaces chargés d'histoire et comment avez-vous réussi à les surmonter ? Est-ce que des technologies particulières comme le scan 3D ou la photogrammétrie vous ont été d'une aide précieuse ?

Nous avons en effet utilisé la photogrammétrie pour relever les plafonds peints par Delacroix. L'équipe de restauratrices avait un réel besoin de pouvoir visualiser précisément les décors, l'état sanitaire des supports, prendre des mesures, faire des annotations. Grâce à cet outil, nous avons pu superposer précisément les décors et les désordres relevés en trois dimensions et en tirer des vues à imprimer pour leurs travaux sur site.  

Nuage de points

Avec autant d'informations et de données patrimoniales à gérer, comment envisagez-vous d'organiser et de structurer l'information au sein du modèle BIM pour faciliter son accès et sa mise à jour ? Existe-t-il des défis spécifiques liés à l'adoption de standards BIM internationaux comme l'ISO 19650 ?

De la même façon que pour les détails, nous avons cherché la plus grande efficacité et avons limité au strict nécessaire les informations à contenir dans les maquettes. Notre cahier des charges BIM et notre convention BIM ne faisaient état que de quelques cas d'usages importants à nos yeux. Il était également important pour nous de ne pas imposer de trop grandes quantités de données à saisir par nos entreprises en phase EXE (notamment les entreprises spécialisées en monuments historiques, parfois moins bien formées au BIM). À tout le moins, les maquettes sont géo-référencées et doivent respecter notre charte interne en terme de nommage des fichiers, des objets, codification des locaux, aspects graphiques, etc.

En ce qui concerne les standards BIM, nous disposons de cet énorme avantage d'être à la fois maîtrise d'ouvrage, maîtrise d'œuvre et exploitant. Cela se traduit par une plus grande efficacité dans la définition précise des besoins en informations et la collaboration entre nous. Nous limitons également par défaut le nombre de maquette à fédérer à nos quatre spécialités présentes dans les équipes.

Quels outils ou plateformes BIM avez-vous prévu d'utiliser pour favoriser une collaboration fluide entre tous les intervenants du projet, surtout pour ce qui est des échanges de données ?

Nous utilisons depuis des années la plate-forme Mezzoteam, un Environnement de Données Commun (EDC) hébergé sur les serveurs internes de l'Assemblée nationale. Un espace de travail dédié a été créé pour le projet de restauration de la bibliothèque, accessible aux entreprises qui y déposent leurs documents. Nous centralisons donc les informations (maquettes, fiches techniques, CR …) avec une classification systématique, qui rentrent dans des processus de validation préétablis et dont nous conservons la traçabilité (indices, statuts etc).

Utilisez-vous des analyses ou simulations BIM, comme l'analyse de la lumière naturelle, la performance énergétique, pour orienter vos décisions durant le projet de rénovation ?

Bien sûr ! Les maquettes ont été utilisées de différentes manières et par différents acteurs tout au long des études : en premier lieu en interne, comme support en pré-synthèse, en détectant les clashs entre nos maquettes des lots techniques et architecturaux.

Par la suite, les maquettes ont pu servir par exemple à déterminer le projet de mise en lumière avec notre AMO éclairagiste. À son grand regret, nous n'avons pas modélisé les livres ! Il a malgré cela pu réaliser des simulations très « éclairantes » qui ont facilité la prise de décisions.

La maquette architecturale a également été le support des études réalisées par le BET structures et le BET spécialiste des questions de désenfumage. 

Lots techniques

Le projet intègre-t-il des aspects de réalité augmentée ou virtuelle pour améliorer la visualisation ou la validation des étapes de rénovation ? Si oui, comment ces technologies sont-elles appliquées ? 

Nous n'avons pas fait appel à ce genre de technologie car cela ne s'y prêtait pas dans le cadre de ce projet. Il s'agit d'une restauration et non pas d'une rénovation : les volumes, aménagements menuisés fixes et décors restent inchangés. Nous avons tout de même réalisé des rendus photoréalistes générés à partir des maquettes pour simuler l'ambiance future et les options d'aménagement mobilier dans la nef.

Comment le BIM joue-t-il un rôle dans la documentation et l'archivage des informations du projet ? Comment prévoyez-vous d'utiliser ces données pour la gestion et la maintenance futures de la bibliothèque ?

 Il joue un rôle fondamental. Il permet la centralisation de l'information et l'archivage du Dossier des Ouvrages Exécutés dans l'Environnement de Données Commun (ici Mezzoteam également).

Nous procédons tout d'abord à un « nettoyage » des maquettes DOE reçues de la part des entreprises avec, régulièrement, une reprise des différents aspects de notre charte qui n'ont pas été respectés et éventuellement la suppression des données susceptibles de ne pas être maintenues par la suite.

Ces maquettes sont ensuite transférées dans l'espace « Exploitation » de ce même environnement pour utilisation quotidienne des données par nos services, sous forme de plans au format pdf pour certains, de nomenclatures des locaux ou encore de visualisation d'exports au format ifc pour d'autres.

Enfin, quelles leçons espérez-vous apprendre de l'application du BIM sur ce projet de rénovation, en termes d'efficacité, de conservation et d'innovation, qui pourraient bénéficier à de futurs projets de rénovation patrimoniale ?

L'opération n'étant pas terminée, nous attendrons le début de l'année prochaine pour avoir le recul nécessaire et tirer les enseignements de cette expérience ! Nous pouvons toutefois espérer que, comme pour d'autres opérations, l'investissement qui peut paraître important au départ se trouve très rapidement rentabilisé par le nombre d'acteurs impliqués dans le projet, collaborant et exploitant les maquettes de la manière la plus efficace possible.

Enfin, à titre personnel, je trouve passionnant de mettre en œuvre des technologies modernes et pointues au service d'un patrimoine public d'une si grande richesse. J'ai l'espoir que l'on puisse poursuivre cette voie !


Nous tenons à remercier chaleureusement Pauline Martin-Lalande pour sa disponibilité et sa volonté de partager son expertise précieuse sur l'utilisation du BIM dans la restauration de la bibliothèque du Palais-Bourbon. Ses insights enrichissent la compréhension de la synergie entre technologie moderne et conservation patrimoniale, et illustrent l'impact positif de ces outils sur la gestion de projets de rénovation d'envergure. Merci, Pauline, pour cet échange instructif qui ne manquera pas d'inspirer et d'informer la communauté HEXABIM et tous les professionnels du secteur.

 

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